08 January 2013

A propos de navigation en solitaire v0.2

Dernière mise à jour : 10/01/2013


J'écris cet article pour partager un peu à propos de cette activité qui depuis que j'y ais touché m'exalte tant. Le but ici ne sera pas de couvrir la technique, même si j'évoque vite fait quelques points, mais de toucher ce qui humainement en fait une expérience extraordinaire j'essaierai donc plus bas de parler de ressenti, d'émotions... et autres concepts bien flous.

Pourquoi naviguer en solitaire ?
Je vois deux raisons principales:
  • Par nécessité, car on ne trouve pas d'équipiers, ou que pour x raison, le ou les équipiers ne sont plus/pas utiles (incompétence, mal de mer, blessure, maladie etc..).
  • Par goût. C'est cet aspect qui m'intéresse le plus, et que j'aborde plus bas. La les raisons sont multiples, et peut être pas toujours avouées. Mais c'est bien par gout, que l'on navigue seul, et il faut vite oublier l'image du gars collé à sa barre 24h/24 défiant les éléments et ne dormant jamais... c'est archi faux. C'est un plaisir, et pas un plaisir de masochiste, même si c'est parfois dur...

Quelle est la différence entre naviguer en solo et naviguer en équipage ?
  • Moins de bras pour effectuer une manœuvre, la conséquence est que la manœuvre devra être anticipée, et réfléchie pour pallier à ce manque de bras. Le point fort est qu’il ne peut pas y avoir des problèmes de synchronisations, ou de communications, tout étant géré par une seule personne les actions s’enchainent sans problèmes de communication (ca ne veut pas dire que ce sera enchainé sans cafouillages). Et Si la manœuvre échoue, recourir au plan B … vous avez préparé un plan B avant non ?
  • Moins de sommeil,  en fait pas forcément, dans les zones ou on attend du trafic et ou donc la veille devra être assidue on dormira forcement beaucoup moins qu'en équipage, mais hors des zones de trafic, en régulant bien son sommeil on peut tout à fait dormir presqu'autant qu'en équipage. Voir plus bas.
  • Plus de fatigue, pas nécessairement tout le temps, mais lorsque l'on passe son temps à manœuvrer parce que le vent est inconstant, ou lors de changements de voiles dans du gros temps, oui clairement.
  • Moins de compétences, tous les domaines de la nav doivent sinon être maitrisées au moins un minimum assurés, mais personne n'est parfait et il y aura donc forcement des faiblesses dans certains domaines, que ce soit la météo, la manœuvre ou autre.
  • Moins de sécurité, seul c'est moins de ressources, moins de veille, moins de force (moins de bras) et moins d'endurance.
  • Aspect social : manque de compagnie, de contact avec l'autre, pour certains cela peut être un handicap, pour d'autres un privilège... Voir plus bas.
  • On est seul responsable, ca semble évident mais ca fait du bien de le dire, les succès comme les échecs sont notre seule responsabilité. Et c'est a mon avis une grande source de satisfaction, ou ... d'humilité suivant les circonstances.


Méthodes et Précautions :
Je ne vais pas m'étendre sur les méthodes ou les précautions parce qu’il me semble que des gens bien plus compétents que moi ont déjà abordé ces points, je relèverai juste quelques points, certains sont logiques et devraient déjà être pris en compte en navigation en équipage, d'autres évidents mais qu'il faut quand même signaler/souligner:
  • Tomber a l'eau en solo, ca sent le sapin c'est certain, et avec ou sans gilet, la seule chose est d'être solidement sanglé au bateau, et encore faut il que la sangle ne soit pas trop longue car ont peut tout a fait tomber du bateau et se retrouver trainé collé à la coque par la vitesse et incapable de remonter si l'on ne s'est pas assommé en tombant, le harnais doit aussi passer sous l'haine, des bateaux ont déjà étés retrouvés le harnais trainant dans l'eau, naviguant seuls... la balise, oui c'est peut être pas mal, mais combien de temps résiste-t-on à une hypothermie ? Est ce que la cavalerie va arriver en temps ? J'en doute fortement... Rien ne me terrifie plus (et je n'exagère pas sur l'idée de terreur) que d'imaginer voir mon voilier filer tout seul alors que je reste comme un con a barboter. Si possible tout renvoyer au cockpit, et éviter d'en sortir lorsque les conditions se gâtent.
  • Anticipation, météo, manœuvres etc... autant on ne peut avoir de problèmes de synchronisation seul, autant on ne peut faire deux choses à la fois.
  • Gestion des priorités, va de paire avec l'anticipation.
  • Il faut être d'une grande rigueur sur le rangement, et la je ne parle pas du linge sale... on doit pouvoir retrouver ce que l'on cherche les yeux fermés. C'est vrai en équipage encore plus vrai seul, mais ici si un truc est mal rangé on ne peut plus accuser un équipier... Cela inclut un pont clair, dans lequel les plats de spaghettis seront réduits au minimum.
  • La majeure partie des actions doit être réalisable en mode "lobotomisé", c'est à dire qu'il faut que toutes manœuvres ou actions courantes soient un automatisme, cela ne vient que par la pratique. 
  • Prévoir les zones de trafic et les routes, pointer sur la carte afin d’anticiper ces zones, cela en s’aidant des pilots-charts qui présentent les grands routes et aussi de la logique ! Imaginer les routes comme Gibraltar-Madère ou Corogne-Azores. Les pécheurs sont attendus sur les hauts fonds donc comme les routes de cargos ont peut anticiper leur présence sur les bancs, ou a l'acore de canyons.
  • Si l’on doit naviguer parallèle a la côte ne pas hésiter à mettre beaucoup de distance entre soi et la côte (50 milles en moyenne, et 15 milles mini, et/ou au moins trois heures de route de la cote). Ceci permettant d'éviter la majorité du trafic, et aussi donner du temps en cas d'avarie.
  • Il ne faut pas être obligé de barrer : pilote ou pilote +  régulateur d'allures fiables. Le régulateur d'allure est a mon avis essentiel, et complémentaire d'un pilote électrique, le régulateur ne consomme rien, et surtout reste réparable avec les moyens du bord, ce qui n'empêche pas d'avoir les rechanges pour les pièces qui peuvent paraître les plus sensibles. Si on est obligé de barrer ... alors ca devient épineux... il faut pouvoir en ayant bien réglé le bateau et la barre attachée, continuer à faire route, là la connaissance de son bateau et la pratique entrent en jeu.
  • Ne pas hésiter à sous-toiler, surtout la nuit ou si l'on se sait fatigué, ou tout simplement pour se donner du temps pour réfléchir, ou pour préparer la prochaine manœuvre à l'approche d'une côte par exemple.
  • On ne peut pas se permettre de se blesser en particulier les pieds et les mains : pas de manœuvre sur le pont pieds nus surtout la nuit, pas de manœuvre de mouillage sans gants. Une bonne pharmacie dont on sait se servir, pour aider quand les ennuis arrivent est essentielle, noter aussi qu'avec le sel même de petites égratignures vont mettre longtemps à cicatriser. Et quoiqu'on en dise, une blessure peut s'infecter en mer, ne pas oublier qu'un bateau contient un moteur diesel (le gasoil est source d'infections, l'huile aussi), de toilettes et d'autres sources d'infections.
  • Tenir un journal de bord, c'est en théorie une obligation, seul il me semble que c'est d'une très grande utilité, quand on sera dans ces "états" étranges de désorientation causes par une grosse dette de sommeil, il sera bien utile de pouvoir relire sa position, l'état du temps il y a quelques heures (baromètre etc..). Ca peut sembler bête, mais je développerai plus bas ces états étranges dans lesquels on peut arriver à se retrouver parfois. En solo le temps prenant une consistance toute particulière c'est aussi une attache avec la réalité, et on sera toujours content de le relire par la suite (sous un pommier, ou à cote d'une cheminée), parfois en relisant le mien, je peux juger de l'état d'après la calligraphie etc.  

La gestion du sommeil :
C'est un point essentiel en solitaire, a ce sujet j'ai rédigé il y a quelques temps un article que je continue à mettre a jour :
Gestion du sommeil en navigation solitaire


L'aspect humain / Psychologique et autre truc flous
Et donc tout ca pour arriver aux raisons et aux conséquences psychologiques qui font que l'ont peut aimer naviguer seul. Je ne parle pas d'une sortie à la journée, en fait je fais assez peu de sortie a la journée, je commence à apprécier une virée en bateau si elle comporte au moins une nuit en mer.

Les Conséquences psychologiques/physiologiques
Certains disent que l'être humain est un animal sociable, d'autres précisent avec humour que c'est un animal sociable qui déteste ses semblables... en cherchant sur internet j'ai même trouvé un sujet de philosophie "Sans autrui puis-je être humain?" ...
Bref, je vais essayer de ne pas tomber dans la philosophie dans cette partie, toujours est il que clairement les humains vivent et ont toujours vécu (a quelques exceptions prés) en société, c'est à dire parmi leurs semblables. Nous sommes habitués depuis notre enfance à la présence et à l'intéraction avec d'autres et ce de manière très régulière.

 Le manque de contacts humains sur de longues périodes peut ainsi créer un manque difficile a vivre pour certains. Il faut comprendre que l'isolement prolongé allié aux interruptions de sommeil/dette de sommeil est couramment utilisé comme méthode de pression (certains qualifieront cela de  torture). C'est donc clairement une pression forte que subit la personne, mais ici que l'on soit bien clair, on se réveil parce qu'on le veut, on réduit volontairement son sommeil, on s'isole volontairement. Il y a clairement un impact physiologique/psychologique, mais si l'individu n'est pas gêné par l'isolement, parfait; et pour ceux qui ne connaissent pas comprendre que ca peut être un sacré isolement de ne voir aucun signe de vie humaine, rien a l'horizon pendant plusieurs jours d'affilée, et là, pas de téléphone, pas de moyen en un instant de voir quelqu'un, on est loin des habitudes de notre 21eme siècle ou tout est à quelques secondes de distances.
 
 Dans ces conditions, je crois que tous ceux qui naviguent seuls ont vécu ces choses étranges, entendre des voix par exemple est un grand classique, je suppose que c'est le cerveau qui transforme les sons normaux du bateau en ces voix dont on n'arrive pas a comprendre ce qu'elles disent mais qui pourtant semblent si réelles, allongé peinard en train de lire plusieurs fois il m'est arrivé de sortir en vitesse, de regarder alentours, à me demander si un autre voilier ne se serait pas approché et quelqu'un ne serait pas en train de me héler, ou s'ils ne seraient pas en train de discuter autour d'un apéro ... mais non rien.
 J'ai souvent entendu les voix, même lorsque je n'étais pas spécialement fatigué ni en manque de sommeil.

 Le manque de sommeil a par contre des conséquences beaucoup plus sérieuses, le sommeil et les rêves sont un besoin physiologique essentiel au bon fonctionnement de l'être humain. Il semble que trop longtemps prive de sommeil, le cerveau va en fait provoquer des rêves éveillés, qui vont très naturellement se superposer a la réalité, donnant donc des hallucinations tout a fait convaincantes, on peut dans un premier temps comprendre que l'on vie une hallucinations, par contre passe une limite l'hallucination est totale, et peut devenir dangereuse, certains se croyant arrivés au port ont ainsi sauté du bateau croyant atterrir sur le ponton ... dommage ... d'autres voient des proches, ce n'est en rien une légende, de Slocum a Le Cam, en passant par d'autres bien plus modestes, dont le rédacteur de ces lignes l'ont vécu. Savoir que cela peut arriver est un premier pas pour comprendre, mais je ne fait pas de régates, je n'ai donc pas a rester a l'affut pour gratter un poullieme de nœud, et maintenant mon bateau est équipé d'un régulateur d'allure, je ne suis plus obligé comme sur mon premier bateau de rester collé à la barre, je peux maintenant aller faire mes siestes comme j'en parle dans l'article sur le sommeil, je n'ai donc plus eu d'hallucinations visuelles depuis longtemps.

 Plusieurs récits de marins solitaires mentionnent des choses étranges comme des oiseaux qui feraient des dizaines de mètres d'envergures, ou encore d'étranges bêtes dans l'eau (sirènes, et formes étranges), ou encore des fascinations, des états hypnotiques, la je manque de billes pour parler, l'hypnose je pense avoir vécu, quand vagues après vagues, le bruit, le vent, ce mouvement infini, cet environnement qui paraît si semblable, et qui pourtant change constamment, et vague après vague ... et le vent, et l'eau qui coure sur la carène.... Bernard Moitessier relate un épisode d'hypnose fascinant dans "la longue route" dans le grand sud ou il reste au delà du raisonnable dehors fasciné par ce monde... jusqu'au moment ou son bateau manque de partir au tas, ce qui le sort de son hypnose, et la se rend compte qu'il s'est uriné dessus, qu'il est temps de réduire la voilure car ces beaux surfs il était alors à peu d'aller les faire pour l'éternité en compagnie des dauphins... Il semble que ceux qui ont navigué dans le grand sud aient vécu cela plus que les autres, pourquoi ? Aucune idée... l'isolement, la lumière, mais j'irais bien promener ma quille là-bas pour voir.

 L'isolement, le manque de sommeil et je ne sais trop quoi encore nous altère physiologiquement, mais ce n'est pas juste une histoire de chimie, bien que clairement cela ait un poids dans l'expérience de celui qui navigue seul plusieurs jours, il se passe autre chose...

Le ressentit et les « trucs flous » :
 Là on aborde la partie de l'article qui est personnelle, ce n'est que ce que je ressens. Ici rien n'est justifié, ce n'est que pure subjectivité, des impressions de vagues suppositions, des histoires de caractère.

 Le caractère, en premier lieu, ce n'est pas parce que l'on navigue seul que l'on est plus compétent, pour ma part n'ayant que très rarement navigué avec d'autres, je suis persuadé d'être nettement moins compétent que d'autres, qui sortent tout le temps, partagent leurs trucs, affinent leurs manœuvres, pas que je ne cherche pas à m'améliorer, mais sans échange sur le vif, je ne pense pas être autant au point, et je suis convaincu d'avoir beaucoup à apprendre.
 Pour être honnête ca me coute d'embarquer quelqu'un sur mon bateau pour une navigation (par contre aucun problème à partager cet espace pour un apéro au port), il faut vraiment que j'apprécie les personnes pour les tolérer a mon bord, c'est un peu comme la violation d'un espace que je considère comme très intime. C'est dur a expliquer, certains que j'ai parfois reçu a mon bord avec une certaine reluctance, ne comprenaient pas trop.
 Cela pour dire que le fait de naviguer seul, n'est pas synonyme (je parle pour moi) de compétence mais bien de caractère, je préfère généralement être seul. Certains navigateurs très compétents préfèrent embarquer quelqu'un uniquement pour la compagnie.
 Il y a une image du type qui navigue seul, l'ours, le grognon qui s'isole, le gars qui n'aime pas aller vers les autres, dans mon cas c'est un peu vrai, je ne suis pas sociable par nature, et ne vais généralement pas trop vers les gens. Par contre arrivant d'une croisière seul, je deviens beaucoup plus sociable, j'ai tendance à beaucoup plus apprécier mes semblables, et bien mieux tolérer leur compagnie.
 Je pense que le fait de se retrouver seul la première fois hors des atteintes de la société, hors des lois, des tabous (autant que l'on peut s'en éloigner malgré notre éducation) c'est voir si l'on n'est pas tout simplement fou a lier, je suis convaincu que certains fous ne sont maintenus raisonnables que par la pression sociale, que ces personnes seules loin de toute pression normale se révéleraient totalement démentes. Ce n'est pas mon cas, et quelque part je trouve ca rassurant, je ne me suis jamais trouvé un comportement irrationnel; mais la première fois que j'ai navigué quelques jours seuls je doits dire que c'est un doute qui m'a assailli, je me suis demandé si je n'allais pas me mettre à miauler, ou a appâter ma ligne de pêche avec mes organes génitaux... bon ca n'a pas été le cas ils sont encore bien attachés !
 La première fois que l'on décide d'aller faire un tour seul, est ce que ce n'est pas aussi pour se prouver ou pour prouver aux "autres" de quoi on est capable ? Quand on voit ce que l'imaginaire collectif se trimballe à propos des marins, ou des marins solitaires. Dans un des documents sur la solitaire du figaro, il est mentionne "Les évaluations psychologiques effectuées sur des jeunes solitaires devenus des champions mettent en évidence un besoin énorme de reconnaissance sociale. Cette attente semble le moteur principal de leur engagement dans un projet solitaire."
 Hors du cadre de la compétition je pense que l'on peut modérer l'importance de cette motivation, toutefois elle existe.
 Le même document définit aussi un trait de caractère type rencontré chez les compétiteurs de la figaro, "une tendance du comportement à tenter d'effectuer les choses par soi même, sans forcément s'appuyer sur les autres" [...] "Ce profil d'indépendance, commun a tous les solitaires, s'inscrit aussi dans un domaine compétitif qui touche le domaine de l'autre." Le désir d'indépendance, n'est pas uniquement un désir d'autonomie, mais aussi un désir de se valoriser à l'autre.

 Et les autres ? Aussi asocial, ou renferme de caractère que l'image générale le définit celui qui navigue seul le fait entre autre par rapport aux autres. Patmic (www.hisse-et-oh.com) dit à propos du fait de naviguer seul que c'est pour "se sentir proche de l'humanité et loin des hommes". Un autre citera Jean-Saul Partre "L'enfer c'est les autres". Le désir d'être seul est une réaction aux autres. Les autres dans l'ensemble c'est la société; a l'unité une femme ou un homme, en groupe idéal l'Humanité. Paradoxalement quand on navigue seul le rapport aux autres a donc un sens (même si sens et direction nous éloignent de l'autre). Seul en mer, dans ce milieu si absolu on a tendance a idéaliser, et comme le dit Patmic, on se rapproche de l'Humanité, jusqu'au moment ou en rentrant au port on doit commencer les pénibles palabres avec tel agent du port ou des douanes, les hommes que l'on cherchait tant a fuir...
 La solitude implique aussi que l'on n'est plus soumis au regard des autres, on peut ainsi agir sans peur du jugement, et ca a je crois un poids très particulier. Combien de personnes soumises au jour le jour à la "pression sociale" vont agir d'une manière donnée, alors que dégagée de la crainte du jugement des autres la réaction pourrait être bien différente. La conséquence pour celui qui navigue seul, c'est qu'ainsi il n'a pas a justifier ses actions, on peut ainsi un jour se fixer une destination, et le lendemain en changer, sans avoir a s'expliquer, on peut aussi se laisser a nos sentiments, pleurer, bondir de joie, ou hurler de rage sans crainte du jugement.
 La présence de l'autre c'est aussi une responsabilité, le patron d'un petit canot a la sécurité somme toute incertaine a la responsabilité de ses passagers ou équipiers. Seul, cette responsabilité disparait, on peut donc faire des choix dont nous sommes moins sur du résultat, ou encore dont les conséquences (parfois dures) n'auront pas à être supportées par d'autres.  La mer c'est l'obligation de résultat, on se doit d'arriver, et, dans une plage de temps respectable, et en n'ayant rien endommagé de trop sérieux, ou ce qui aura été endommagé de sérieux (sérieux ici définit ce qui est nécessaire à la marche du navire) aura été réparé. Seul, cette obligation de résultat est encore plus flagrante, hors de question de compter sur une aide extérieure; dailleurs dans le guide du SHOM "Naviguer en securite", il est mentionne : "La liberte en mer, consiste a compter sur soi et uniquement sur soi."
 La responsabilité en bateau est ainsi totale, c'est d’ailleurs de nos jours une des rares situations ou on peut encore être entièrement responsable de ses actes. Dans notre société actuelle, qui cherche toujours à reporter la responsabilité, un tel concept de responsabilité totale peut donner le vertige. Les données sont simples et d'une très grande clarté, si j’échoue je risque de ne pas survivre, et je me suis engagé seul dans ce canot, pas de responsabilité extérieure à chercher. C'est d’ailleurs un comportement que l'on a après avoir navigue seul tendance à reporter dans la vie de tous les jours. Et se considérant entièrement responsable de ses actes, on considère sa vie comme sa navigation en solo, ce sont nos actions, accomplies sur nos temps de vie, si on ne gène pas les autres, alors pas de comptes à rendre. Et c'est justement les autres qui reviennent... Un tel comportement ignorant les règles, ne rendant de comptes a personne n'a pas tellement sa place en société. Naviguer seul en haute mer, c'est bel et bien se retrouver hors de portée de toutes lois, là dessus je manque d'informations, mais il me semble bien qu'en haute mer, à part les trafics de drogues, la piraterie et l'esclavage on ne peut pas vous reprocher grand chose. C'est donc littéralement se sortir de la société, pour un temps déterminé certes, mais quand même, ce n'est pas tous les jours que ca arrive... en fait je ne vois pas d'autres circonstances ou cela peut arriver.

 Il apparait une certaine liberté à être ainsi seul, c'est une liberté toute relative bien sur, un bateau de par son exigüité, ses contraintes et son isolement est une petite prison, dans laquelle on a en plus une chance d'être noyé ! La liberté ce n'est jamais que choisir ses contraintes, et ici le jeu des contraintes/règles est particulier. Les règles peuvent être dures, mais elles sont d'une grande simplicité, d'une grande honnêteté et sans détours. L'environnement n'est pas méchant, cruel ou fourbe (quoique parfois on se demande...) il est. C'est un environnement purement naturel qui n'a pas été conçu par ou pour l'homme, et dans lequel on ne peut vivre sans artifice (un canot pour commencer).
 Ce qui me semble façonne le plus mon état d'esprit en mer est le fait d'être a la fois tout le temps en train de dormir et tout le temps réveillé, toutes les heures du jour ou de la nuit se valent, le temps change alors réellement de consistance, il peut parfois s'étirer a l'extrême, ou au contraire se condenser et devenir dur comme du diamant. La densité toute spéciale que prend le temps a un gout vraiment particulier que je suis bien incapable de décrire... et qui pourtant me semble être a la racine de ce que l'on peut sentir seul en mer.

 On passe beaucoup de temps a sentir l'environnement, sentir les mouvements, les changements du vent car il s'agit d'essayer d'anticiper le temps, de quoi sera fait le monde dans quelques heures... il m'est arrivé lors d'une étape assez longue, de faire des rêves qui ne comportaient rien d'autre que la houle et le ciel, ni moi ni mon bateau ni aucun autre être n'apparaissaient, juste la mer et le ciel; pour illustrer à quel point on peut s'enivrer de ce milieu. Et le bateau évolue, posé entre la mer et le ciel et usant des deux pour avancer.


 Seul témoin de ces temps passés loin de tout, et vouloir en parler, vouloir expliquer ou décrire finalement un monde dont on serait le seul survivant... c'est bien difficile.





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Sources :
-Discussions avec d'autres navigateurs solitaires
-Doc sur la solitaire du figaro :
http://www.polefinistere.com/fr/le_pole/documentation/ 
-LE SOMMEIL, LES RÊVES ET L'ÉVEIL / CNRS :
http://sommeil.univ-lyon1.fr/articles/valatx/mh_88/print.php 
-Hallucinations en haute mer : http://www.lemonde.fr/sport/article/2012/12/13/vendee-globe-hallucinations-en-haute-mer_1806202_3242.html
-Desjoyeaux en solo je vis des moments rares :
http://www.lexpress.fr/actualite/sport/michel-desjoyeaux-en-solo-je-vis-des-moments-rares_731743.html
-http://www.hisse-et-oh.com/forums